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Eviter les prochaines crises en changeant de modèle alimentaire

Tribune collective publié sur Libération

Historiquement, les grandes tragédies telles que la pandémie actuelle ont souvent apporté des changements importants. Alors des scientifiques cherchent à comprendre, la consommation d’animaux semble bien être en cause.



Le coronavirus à l’origine de l’actuelle pandémie provient indiscutablement de la consommation d’animaux. C’est ce qui a conduit la Chine, le 26 février, à interdire tout transport ou commerce d’animaux sauvages destinés à l’alimentation. D’ailleurs, selon une équipe de chercheurs menée par la biologiste Laura Kurpiers, 75 % des maladies infectieuses émergentes auraient une origine animale. C’est, par exemple, le cas des Sras, du VIH (via des singes tués pour leur viande), de la rougeole, et de plusieurs grippes. La grippe espagnole de 1918-19, qui fit 30 à 100 millions de morts, est liée au virus H1N1 probablement d’origine aviaire. Le sous-type H5N1 qui se répand par les élevages de poulets est lui clairement responsable des grippes de 1957 et 1968 (dites «grippe asiatique» et «grippe de Hong Kong ») ayant causé trois millions de morts. Malheureusement le rythme des nouvelles épidémies ne fait que s’accélérer. Pour couronner le tout, l’OMS nous avertit que l’antibiorésistance pourrait tuer 10 millions d’humains tous les ans si rien n’est fait d’ici 2050 (aujourd’hui l’antibiorésistance cause déjà 12 500 morts par an en France). L’élevage industriel joue ici un rôle central : le confinement des animaux favorise le développement de bactéries multirésistantes : 38 % des antibiotiques consommés en France et 73 % des produits antimicrobiens dans le monde sont destinés aux animaux d’élevage. Combien de morts notre mode d’alimentation va-t-il encore causer ? Sans parler des animaux eux-mêmes, si nombreux qu’ils sont indénombrables… Selon certains chercheurs, comme Serge Morand, auteur de la Prochaine peste (Fayard, 2016), la déforestation et la réduction du territoire des espèces sauvages augmentent drastiquement les risques de propagation des maladies en poussant les animaux sauvages à s’approcher des habitations humaines. De même, la perte de biodiversité bouleverse les systèmes de régulation des pathogènes et facilite leur propagation. Comme le montre la plateforme de l’ONU dédiée à la biodiversité, nous aurions tort de ne pas faire le lien avec le problème précédent. L’élevage, utilisant 83 % des terres agricoles pour ne fournir que 18 % des calories que nous consommons, est le principal responsable de la déforestation. D’après le rapport de la Banque mondiale sur la déforestation en Amazonie, «comparé à 1970, 91 % de l’incrément de la surface déforestée a été converti en pâturages pour le bétail». C’est encore sans compter sur les plantations de soja, qui tirent les 2/3 de leur valeur marchande des tourteaux destinés au bétail. S’en laver les mains ? La crise sanitaire présente et celles à venir voient les intérêts vitaux des humains et des animaux converger. Lorsque nous prenons le temps de réfléchir à nos choix collectifs (ce que nous faisons rarement), nous avons tendance à justifier nos actions passées en gardant coûte que coûte la même trajectoire. Changer de direction reviendrait à admettre que nous nous sommes trompés. Dans le contexte actuel, où l’importance du lavage de mains occupe le devant de la scène, il peut être instructif de revenir sur une anecdote illustrant très bien ce phénomène. Avant Pasteur, la contamination microbienne était inconnue et les médecins pouvaient passer de la dissection des cadavres à la salle d’accouchement, sans se laver les mains, entraînant un fort taux de mortalité accepté comme une simple fatalité. Pourtant, en 1847, le médecin autrichien Ignace Semmelweis affirme que se laver les mains pourrait grandement réduire le taux de mortalité. Critiqué et moqué par ses pairs, il fut mis à la porte de son service d’obstétrique. Le rejet de ses recommandations, pourtant évidentes aujourd’hui, s’explique par la difficulté de ses confrères de l’époque à reconnaître leur culpabilité pour tous les patients morts de ne pas avoir pris cette simple précaution. Or, parce que notre consommation de produits animaux a été depuis des dizaines d’années une cause majeure du réchauffement climatique, de l’effondrement de la biodiversité terrestre et marine, de nouvelles épidémies et surtout du massacre de centaines de milliards d’animaux chaque année, nous avons du mal à nous avouer que cette pratique n’était nullement nécessaire, ni à notre santé ni à notre culture. Devant les innovations alimentaires, laits végétaux et autres steaks végétaux, qui nous permettraient de conserver nos habitudes culinaires et gustatives, nous faisons la fine bouche et imaginons toutes sortes de raisons de poursuivre sur notre lancée sans rien changer. Cette crise nous offre aussi l’opportunité d’un changement d’attitude envers les animaux des autres espèces. Il y a plus de 20 ans déjà, au moment de l’épidémie de vache folle, Claude Lévi-Strauss appelait à remettre en cause la consommation de viande : «Un jour viendra où l’idée que, pour se nourrir, les hommes du passé élevaient et massacraient des êtres vivants, et exposaient complaisamment leur chair en lambeaux dans des vitrines, inspirera sans doute la même répulsion qu’aux voyageurs du XVIe ou du XVIIe siècle les repas cannibales.» Nous avons vu comment, en quelques jours, une volonté publique forte est capable de changer du tout au tout notre mode de vie. Malgré les «impératifs» économiques à court terme, malgré nos habitudes et au prix de notre confort. Faire le choix collectif d’une alimentation ne contenant plus de produits d’origine animale serait un changement bien moins contraignant que celui que nous subissons actuellement. La meilleure précaution, pour éviter la répétition de crises sanitaires et économiques comme celle que nous traversons, serait donc d’initier à l’échelle de la société une transition vers une alimentation végétale et de rediriger nos ressources agricoles vers l’alimentation des humains plutôt que du bétail. Serons-nous à la hauteur des enjeux ?


@Dans un marché de Pékin, le 19 février.Photo Tingshu Wang. Reuters Signataires Fabien Badariotti, docteur en biochimie, biologie moléculaire et cellulaire. Aurélien Barrau, astrophysicien. Sébastien Demange, docteur en médecine. Catherine Devillers, docteure en médecine. Isabelle Dudouet-Bercegeay, cofondatrice et coprésidente du Parti animaliste. Laurence Froidevaux, docteure en médecine. Charline Giroux, docteure en biologie, spécialiste de virologie. Laure Gisie, coprésidente du Parti animaliste. Thomas Lepeltier, essayiste et historien des sciences. Frédéric Mesguich, docteur en chimie analytique, administrateur de la blogotheque-animaliste.fr Annelies Moons, docteure en médecine. Léa Morvan, docteur en médecine vétérinaire spécialisée en virologie. Corine Pelluchon, philosophe, maître de conférences à l’université Gustave Eiffel. Lamprini Risos, docteure en médecine. Jérôme Segal, historien, maître de conférences à l’université Paris-Sorbonne. Cédric Stolz, philosophe et cofondateur de l’association 269 Life France. Hélène Thouy, avocate, cofondatrice du Parti animaliste. Didier Verstringe, docteur en médecine, anesthésiste réanimateur. Élodie Vieille Blanchard, docteure en sciences sociales et présidente de l’Association végétarienne de France.


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