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NicolasVitryenMieux

« Pendant que les cadres sont en télétravail, les ouvriers, les gens du bas n’ont qu’à aller mourir.

Par Augustin Langlade, 18 mars 2020 , la relève ou la peste.


Pourquoi les mesures radicales décrétées par le gouvernement comme « en temps de guerre » ne s’appliquent-elles pas aux ouvriers qui construisent des bateaux de croisière ou des jouets, ainsi qu’aux milliers d’employés qui expédient des objets plus ou moins inutiles aux cadres confinés ?

Depuis hier, mardi 17 mars, toute la France est confinée. Toute ? Non, de nombreux professionnels, parmi lesquels figurent les plus précaires, échappent à la procédure et sont forcés de continuer leur travail. Pire, ils sont souvent trop peu protégés. Serait-on encore une fois en train d’envoyer les pauvres sur le front de la maladie, pendant que les populations les plus aisées peuvent rester tranquillement chez elles ? Y a-t-il une injustice sociale flagrante dans le confinement général annoncé hier ? Comment peut-on s’y opposer ?

Les travailleurs de l’ombre, les plus exposés

Cela n’a pu vous échapper, hier, toute la France est entrée dans une phase de confinement qui devrait au moins durer plusieurs semaines. « L’état de guerre » décrété par Emmanuel Macron bouleverse toute l’organisation du pays, l’économie, les transports, les déplacements, et bien entendu les professions.

Tandis que la plupart des secteurs de l’économie de service, des médias et des métiers non essentiels ou indispensables à la vie du pays sont rapidement passés au télétravail, de très nombreuses professions ne peuvent pour leur part faire l’impasse aux déplacements et à la présence, ou bien n’en ont pas reçu le droit par le gouvernement ni leur entreprise.

Ils sont chauffeurs de transports en commun, agents d’entretien, éboueurs d’une métropole, boulangers de quartiers, caissières d’une grande surface, travailleurs sociaux, ouvriers d’une usine ou du bâtiment.

Ils travaillent dans des entrepôts ou des centres de tri, ils exercent des métiers si utiles et vitaux que personne ne songerait à les arrêter.

Ils sont bien souvent en contact avec des centaines de personnes par jour, comme les caissières de la grande distribution, ou bien fréquentent leurs collègues, dans une promiscuité nécessaire à la réalisation de leur tâche. Si la vie des personnes confinées peut continuer (presque) normalement, c’est grâce à tous ces travailleurs qui maintiennent leur activité malgré la crainte et le danger d’être contaminés.

En première ligne, certains le sont par nécessité absolue. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde.

Pourquoi tous les professionnels qui ne sont pas vitaux à l’existence de la population ne sont-ils pas autorisés à restés chez eux ? Pourquoi les mesures radicales décrétées par le gouvernement comme « en temps de guerre » ne s’appliquent-elles pas aux ouvriers qui construisent des bateaux de croisière ou des jouets, ainsi qu’aux milliers d’employés qui expédient des objets plus ou moins inutiles aux cadres confinés ?

Comment pouvons-nous forcer des agents d’entretien à prendre des rames de métro ou des bus pour aller nettoyer des surfaces vidées de leurs occupants, en induisant d’ailleurs toutes les activités qui en découlent, transports en tête ? Qui décide « quand le travail à distance est impossible » ?



Les secteurs les plus concernés

Pour les 700 000 salariés qui travaillent dans la grande distribution en France, la situation semble catastrophique. Devant accueillir des centaines voire des milliers de personnes qui se ruent sur les produits, en particulier après chaque annonce gouvernementale, ils font face de plein fouet à l’épidémie : non seulement ils affrontent un risque renforcé de contamination, mais ils sont également dépourvus la plupart du temps d’équipements de protection, que les enseignes ne leur distribuent pas, tandis qu’elles reçoivent tous les soutiens possibles de l’État.

À ce manque de protection viennent s’ajouter la fatigue et l’anxiété. Dans un article consacré à ces questions sans réponses, Basta !note même que du gel hydroalcoolique ne leur est pas fourni. De la même manière, les entreprises du BTP ne sont pas contraintes de cesser leur activité et peuvent même de procéder aux travaux des particuliers.

Dans une sorte de chacun-pour-soi reposant sur l’obscurité des mesures nationales, les entreprises qui ont choisi de se maintenir coûte que coûte ont parfois peur de la concurrence déloyale qui pourrait s’exercer si elles fermaient leurs portes le temps du confinement.

Les travailleurs, quant à eux, n’ont certainement pas leur mot à dire et même s’ils sont en contact répété avec leurs collègues, ils continueront tant que leur patron en aura décidé ainsi.

« Dans chaque entrepôt Amazon sur le territoire, il y a entre 500 et 2 000 personnes. On est sur des grosses densités de population. Si on laisse ces endroits fonctionner presque normalement, ce n’est pas la peine de faire fermer la petite boutique du coin ! » , déclare Julien Vincent, le délégué syndical central CFDT d’Amazon France Logistique, au journal Médiapart.

Le géant du commerce en ligne a obtenu l’autorisation de maintenir ses activités d’expédition et de livraison, malgré toutes les procédures qui s’appliquent drastiquement à la plupart des commerce de détail.

Avec le confinement, les commandes ont même explosé, il fallait s’en douter, si bien que l’entreprise pense à recruter un bon nombre intérimaires. Pour ces personnels, qui stockent, trient et envoient énormément d’objets de divertissement ou d’utilité peu ou non immédiate, bref loin d’être vitale, la vie quotidienne va très peu changer.

Comme toujours, les plus précaires sont les grands oubliés. Et pendant ce temps, Amazon peut écraser une fois de plus toute concurrence locale.

Contre toutes ces incohérences flagrantes du gouvernement, qui privilégie les classes aisées et les grandes entreprises, l’astrophysicien et essayiste Aurélien Barrau a élevé la voix:

« Je suis sidéré que l’injustice sociale de cette crise ne soit pas d’avantage discutée. Beaucoup de cadres peuvent télétravailler. Les ouvriers et personnels d’entretien ne le peuvent pas. On sacrifie les pauvres ? (…) Il ne suffit pas d’appeler au confinement, il faut interrompre le travail présentiel non vital. En plus, économiquement, certains sont évidemment plus impactés que d’autres. N’est-ce pas un excellent moment pour établir de véritables solidarités et partages ? Les professions qui pâtissent de l’épidémie n’en sont pas responsables. »

En principe, le confinement général peut sembler une mesure adéquate et sage ; mais en pratique, son application est tortueuse et révèle une fois de plus les structures inégalitaires qui régissent notre société.

Qu’on croie à la gravité de l’épidémie ou non, qu’on s’inquiète à outrance ou qu’on adopte des comportements « irresponsables », les mesures que prennent nos dirigeants doivent être cohérentes, justes et appliquées à tous sans distinction. On ne peut pas soutenir les traitements de faveur et l’inégalité, tout en prétendant obéir aux exigences de l’État-providence et de la santé publique.

Le droit de retrait

Si vous êtes salarié et que vous estimez que votre travail n’est pas vital ou n’est pas exercé dans un environnement assez protégé, vous disposez d’une arme : le droit de retrait.De très nombreux salariés l’ont fait valoir hier matin et continueront de le faire tant qu’ils ne seront pas entendus.

À Grenoble, Lille ou Mulhouse, des facteurs ont été gratifiés, pour se protéger, « [d’]une bouteille d’eau, d’un paquet de mouchoirs jetables et d’un sac poubelle ». Ils ont immédiatement fait jouer leur droit de retrait.

Sans gel, sans masques, devant travailler comme si de rien n’était sur un site qui rassemble 10 000 personnes, des ouvriers des Chantiers de l’Atlantique, à Saint-Nazaine, ont refusé de monter à bord des paquebots en construction, de même que 150 salariés de General Electric à Bourogne ont refusé d’entrer dans leur usine, estimant qu’ils étaient « dans un danger grave et imminent », comme le stipule la loi.

Un représentant syndical s’est même emporté avec justesse : « Pendant que les cadres sont en télétravail, les ouvriers, les gens du bas n’ont qu’à aller mourir. »

Envoyer travailler des professionnels qui pourraient rester chez eux, permettre nonchalamment aux entreprises de ne pas respecter les recommandations sanitaires, trier avec largesse ceux qui ont le droit au confinement, est-ce cela, « inventer de nouvelles solidarités », comme le proposait lundi soir le président ? Avant d’en inventer de nouvelles, il s’agirait de respecter les plus élémentaires.

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