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NicolasVitryenMieux

Covid-19 : préparer dès maintenant le jour d’après.

Par Bernard Marx, publié dans le magazine Regards


Emmanuel Macron a affirmé que « le jour d’après ne sera pas le jour d’avant ». Pour l’épisode 18 de la deuxième saison des « choses lues », Monsieur Marx vous décode le macronisme de crise épidémiologique.


Le juriste et universitaire Emmanuel Dockès a publié sur son blog un beau texte, optimiste et volontaire. Il a écouté les deux discours télévisés d’Emmanuel Macron, le 12 et le 16 mars. Le reniement présidentiel de l’idéologie qui constitue la poutre maîtresse de son action gouvernementale lui a sauté aux yeux et aux oreilles. Par temps de coronavirus, cette idéologie de l’avidité, de la destruction de la protection sociale et des services publics est tout simplement devenue brutalement indécente, inacceptable. « Nos gouvernants prennent peur », écrit-il. Ils renient tout, la réforme de l’assurance-chômage, et celle des retraites, les privatisations, qu’ils suspendent. Ils reparlent État providence, nationalisations, interdiction des licenciements.


« Le coronavirus montre, plus que jamais, la nécessité de dépasser le capitalisme ». En fait, dit à raison Emmanuel Dockès, si cette idéologie explose ainsi devant nos yeux ce n’est pas seulement parce que l’épidémie du coronavirus prouve son aberration. Sa domination a été fissurée par les luttes sociales menées depuis des années : la lutte contre la loi travail, le soulèvement des gilets jaunes, la lutte contre la privatisation de la SNCF, la bataille des retraites.Pour demain, ajoute-t-il, lorsque l’épreuve sera passée, ils voudront bien sûr reprendre le cours normal des choses et leur politique. « Les pulsions accumulées demeureront. L’avidité indécente sera toujours là. » Le Président a affirmé que « le jour d’après ne sera pas le jour d’avant ». Non qu’il souhaite faire autre chose que changer le minimum pour que rien ne change, « mais, dit Emmanuel Dockès, parce qu’il sait que nous n’oublierons pas ce que nous avons appris et que nous saurons en tirer toutes les conséquences ». Mais, ajoute-t-il, « ce qu’il n’a pas encore compris c’est que, lorsque viendra le temps de la reconstruction, lorsque nous sortirons de nos nécessaires et terribles confinements, lorsque nous aurons pleuré nos morts, il nous reviendra, à nous et à nous seuls, de tenter de construire ce nouveau monde dont nous avons un besoin urgent. Et nous le ferons sans lui, contre lui. » Emmanuel Dockès est peut-être, hélas, un peu optimiste.Drôle de guerre On peut d’abord constater comment, jusqu’au bout du bout, ils se sont arcboutés à leur idéologie et à la politique qui va avec. Au point de s’aveugler eux-mêmes de façon irresponsable sur la gravité de l’épidémie et sur la possibilité de faire passer la France au travers. Au lieu de mener bataille sans attendre, ils ont refait le coup de la drôle de guerre et de la ligne Maginot. Ils ne se sont même pas préoccupé de prévoir les matériels de protection de base. Fin janvier, la ministre de la Santé Agnès Buzyn alertait le Premier ministre sur la gravité de l’épidémie en cours d’évolution rapide. Mais, le 14 février, Premier ministre et ministre de la Santé ont encore dit non aux revendications des personnels hospitaliers qui, pour la troisième fois en quatre mois, manifestaient à travers le pays pour demander la réouverture de lits et le recrutement de personnels en nombre suffisant et avec des salaires décents.Aujourd’hui ces personnels sont des héros et les agents et salariés des services publics de l’énergie, des transports, de l’eau et des déchets sont en première ligne du front. La ministre de la Transition écologique Elisabeth Borne leur écrit pour louer leur « rôle fondamental pour la vie de la Nation ». Mais, le 29 février, Emmanuel Macron et le gouvernement n’avaient rien de plus urgent à faire que de dégainer le 49.3 pour imposer sans discussion parlementaire et avant juin, une réforme des retraites qui s’attaquent particulièrement à salariés. Et, le 12 mars, la conférence sur le financement de 12 milliards d’économies d’ici 2027 était toujours réunie. Jacques Maire, député LREM, rapporteur de la réforme des retraites, ancien cadre d’AXA, et fils de dirigeant syndical, continuait de tout oser. Il expliquait encore qu’il fallait « mettre la pression » sur les partenaires sociaux afin que les syndicats acceptent des mesures d’âge contre de nouvelles promesses concernant la pénibilité.Certes, comme l’écrit lui aussi Edgar Morin, « le coronavirus nous dit avec force que l’humanité tout entière doit rechercher une nouvelle voie qui abandonnerait la doctrine néolibérale pour un New Deal politique social, écologique. La nouvelle voie sauvegarderait et renforcerait les services publics comme les hôpitaux, qui ont subi depuis des années en Europe des réductions insensées. La nouvelle voie corrigerait les effets de la mondialisation en créant des zones démondialisées qui sauvegarderaient des autonomies fondamentales. » Mais cela ne va pas de soi. La crise n’ouvre pas, par elle-même la voie aux idéologies de solidarité, de partage et de coopérations. Le coronavirus continue aussi de produire le nationalisme, le chacun pour soi, l’aggravation des inégalités et la recherche de boucs émissaires. Leurs politiques économiques en réponse à la crise vont peut-être permettre dans l’immédiat d’échapper au pire, mais elles ne constituent pas un véritable changement de cap idéologique et politique.

L’économie face au coronavirus : l’État doit payer« C’est un plan de soutien à l’économie qui vise à empêcher l’économie de s’effondrer, à ne pas permettre que des fleurons français passent quasiment à l’œil sous pavillons étrangers », analyse l’économiste Benjamin Coriat. « Certes, dit-il, le plan ne paraît pas trop mal conçu. Il y en a pour tout le monde, pour les indépendants, les PME, les grandes entreprises, les salariés. Mais il s’agit d’un service minimum pour lutter contre l’effondrement. Pour autant, est-ce que cela prépare un tournant ? Je suis sceptique. Je suis perplexe car je pense que le cœur de la vision du monde de Macron est que ce sont les entreprises qui savent faire et qu’il faut leur donner les clés. » Les entreprises… et les marchés financiers. Puisque l’on a continué de les laisser agir à leur guise, et ajouter la crise financière à la crise sanitaire et à la crise économique.En fait, analysent à chaud les Économistes atterrés Christophe Ramaux et Henri Sterdyniak, la loi de finances rectificative n’est pas à la hauteur de la crise. Et le changement d’idéologie n’est pas vraiment au rendez-vous. Ainsi le Projet de loi de Finances rectificatif (PLFR) continue de se référer au « déficit structurel » qui relève, dans sa construction, d’une conception libérale surannée de l’économie, avec une surestimation régulière de ce déficit structurel. « Cela signifie qu’il faudra demain, une fois la crise passée, aller encore plus loin dans l’austérité », explique les économistes. Dans le détail, derrière l’affichage d’une certaine repentance et les images d’Epinal sur les nouveaux héros de cette guerre d’un nouveau type, la vieille idéologie des salauds de pauvres reprend vite le dessus. À nouvelle guerre, nouveaux déserteurs ! La ministre du Travail, Muriel Pénicaud, vient de s’en prendre aux entreprises du BTP qui décident de fermer leur activité du fait de la mise en confinement. « Les entreprises qui se disent que l’État paiera et qu’elles n’ont pas à travailler ne sont pas dans une attitude de civisme… C’est du défaitisme », a-t-elle osé affirmer. « Des propos scandaleux », a répondu, parmi bien d’autres, Jacques Chanut, président de la Fédération française du bâtiment. « Aucune de nos entreprises, aucun de nos artisans, ne se sont mis dans une position de tire-au-flanc face à la situation actuelle, a-t-il affirmé. C’est la mort dans l’âme que nombre d’entre eux ont dû cesser leur activité et mettre leurs salariés à l’arrêt… Le mépris affiché à notre égard depuis hier par les pouvoirs publics, dans le contexte que nous traversons, est d’une déloyauté sans nom. Il est aussi sans précédent. »Scénario catastrophe pour l’idée européenne Alors que pour le moment l’Europe est devenue l’épicentre de l’épidémie, le coronavirus « sera peut-être la crise finale de l’idée européenne », comme le pressent l’ancien Premier ministre Italien Enrico Letta. Ce n’est pas une bonne nouvelle. Fort de l’expérience de 2015, Yannis Varoufakis décrit le scénario en train de se mettre en place : « La première indication en est l’annonce récente du plan d’aide financière du gouvernement allemand au secteur privé. Alors que les médias internationaux l’ont qualifié de bazooka de 550 milliards d’euros, un examen attentif laisse penser qu’il ne s’agit que d’un pistolet à eau. Comprenant des reports d’impôts et d’importantes lignes de crédit, le paquet allemand révèle une grave incompréhension de la nature de la crise. Et c’est le même malentendu qui a provoqué la crise de l’euro il y a dix ans. Aujourd’hui comme hier, ce sont les entreprises et les ménages qui sont confrontés à l’insolvabilité, et non à l’illiquidité. Pour mettre un terme à la crise, les gouvernements doivent faire "tapis" avec une expansion budgétaire fulgurante. Les ministre des Finances des pays qui connaissent des difficultés économiques plus graves que l’Allemagne (par exemple, l’Italie et la Grèce) tenteront sans aucun doute d’encourager l’expansion budgétaire nécessaire. Mais ils se heurteront au mur d’opposition du ministre allemand des finances et de ses fidèles partisans au sein de l’Eurogroupe… Et ils devront accepter un paquet budgétaire insignifiant. »Il ne faut pas leur laisser les mains libres d’agir comme ils l’entendent même s’ils disent qu’ils nous ont compris. C’est dans les débats, les propositions et les mobilisations d’aujourd’hui que se joue, pour une bonne part, le jour d’après. « Si nous échouons, avertit Yannis Varoufakis, les décisions de l’UE, en particulier pendant cette pandémie, en matière de politique fiscale, d’investissements verts, de santé, d’éducation et de politique migratoire seront forcément aussi inefficaces que celles qui ont amplifié la crise de l’euro il y a dix ans. Alors, seuls les Trump et Poutine, ainsi que les Orbán, Salvini et Le Pen, qui veulent dissoudre nos institutions communes de l’intérieur, en profiteront. »

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